Thursday, July 26, 2007

Ethique formative III
Vagabondage entre les neurosciences et l’éthologie

Jorge Moll et Jordan Grafman, tous deux neuroscientifiques au National Institues of Health ont tenté une expérience relaté dans le Washington Post du 28 mai 2007 : ils ont observé le cerveau de volontaires invités à penser à un scénario avec soit la possibilité de donner de l’argent dans un acte de charité soit de le garder pour lui-même. Les résultats montrent que les personnes généreuses ont activée une partie primitive de leur cerveau. L’altruisme ne serait donc pas lié à la raison, comme réponse du néo cortex, mais plutôt une fonction du cerveau primitif de l’homme. Les neurosciences contredisent les modernes où la morale est raisonnée d’une raison éclairée.

Si la morale est liée au cerveau primitif, elle renvoie à l’homme premier et donc au processus de l’évolution qui probablement à commencé avec d’autres espèces. L’éthologie trouve toute sa place. C’est ce que propose Frans De Waal « les dauphins, les éléphants, les canidés et la plupart des primates répondent à la souffrance et au malheur d’autrui. » ou Boris Cyrulnik « l’aide aux handicapés, le respect des rituels d’interaction, les offrandes alimentaires, les menaces contre l’intrus afin de protéger le faible, les conduites d’apaisement constituent, chez les animaux aussi, un être ensemble organisé pour la recherche d’un bien être commun ». Il parle même de « protomorale ». L’animal serait donc moral… Evidemment, il faut se méfier des raccourcis trop sommaires, avec deux écueils. Le premier est la critique de l’anthropomorphisme, c'est-à-dire transférer des caractéristiques humaines aux animaux. Le deuil de la baleine, s’il est bien fondé ne saurait être analogue au deuil de l’homme. Le second est que la protomorale ne saurait être généralisée à l’ensemble de l’espèce animale. Le cannibalisme n’est pas rare.

La morale a un fondement biologique et la base de ce fondement est l’empathie.

L’empathie est à l’origine un processus de projection des sentiments humains pour aujourd’hui devenir la connaissance d’autrui. L’empathie neurologique est une attitude émotionnelle à se laisser modifier par le monde d’un autre, auquel on est attaché. En éthologie, le malaise de l’animal observateur est provoqué par la souffrance de l’autre. Il s’agit d’une empathie cognitive où la mère primate par exemple exprime une mimique anxieuse en voyant que son enfant s’est coincé le pied. Quand le petit souffre du pied coincé, la mère est altérée par l’image de la souffrance de son petit. On peut parler de représentation puisqu’il s’agit chez la mère d’une « activité mentale qui rend présente l’image d’un objet » comme l’affirme Serge Lebovici. C’est bien la construction sensorielle d’images du petit agité qui émotionne la mère et non pas la douleur d’un pied coincé. Ce n’est donc pas le langage qui fonde l’empathie, mais l’émotion. Nous reviendrons sur cette idée. Cette aptitude a désorganisé son propre monde intime quand celui d’un proche est désorganisé constitue le point de départ, la base cognitive de la morale.

A ce point de l’analyse, nous pouvons réintroduire Emmanuel Lévinas et son « épiphanie du visage », la rencontre face à face, visage à visage me permet de répondre à l’autre en ce qu’il m’interroge sur ce que je suis. L’image de l’autre est une construction qui prend sens. J’ai besoin de l’autre pour faire naître ma nature profonde. Emmanuel Lévinas va plus loin lorsqu’il intitule en 1992 son livre, l’éthique comme philosophie première. L’éthique existerait avant toute philosophie, avant tout savoir. Il est troublant de rapprocher ses positions du travail de Marc Hauser chercheur à Harvard qui constatait que quelque soit les civilisations le processus moral est le même. Il suggère que la pensée morale est intrinsèque au cerveau humain et non à une culture. Sans tirer les auteurs à des rapprochements contre nature, les croisements existent. L’éthique lévinassienne est donc bien premier. L’éthologie ou les neurosciences ouvrent un éclairage particulier sur la place de l’éthique.

Et la formation… Quelles conséquences sur son éthique ? Si l’éthique dans une certaine dimension est liée à l’empathie et la relation à l’autre. La formation éthique doit avoir une dimension relationnelle forte pour exister. Il s’agit de comprendre l’autre, de le rassurer grâce à l’empathie et de lui permettre de se sentir dans sa dimension humaine pour coproduire ensemble une réponse professionnelle. La fonction de formation pour être éthique doit développer une qualité éthique d’échange et d’écoute. L’entretien professionnel par essence espace de rencontre entre deux hommes, le collaborateur et son manager N+1 peut être le moment de cette rencontre si les deux sont prêts à cette rencontre. Il s’agit de sortir de la fonctionnalisation ou de la chosification comme le dit Emmanuel Levinas pour entrer dans la rencontre. C’est au delà des masques du professionnalisme que la rencontre à lieu. C’est le lieu du réchauffement mutuel, on n’est plus seul dans son humanité et l’autre me nourri de sa présence. Aristophane ne disait-il pas que la formation ne consistait pas à remplir un vase mais à allumer un feu ? La formation est éthique dans le sens où elle allume le feu de la nature humaine, l’homme nature première de l’homme.

Qu’est-ce que ce vagabondage peut encore nous apporter ?

Jordan Grafman a démontrer qu’une composante autre entre dans la pensée morale, les émotions. Elles sont véritablement centrales à la pensée morale. Antonio Damasio corrobore ces travaux avec l’expérience suivante publié en mars 2007. Il observe des patients dont la zone de la moralité était endommagé, il arrive au résultat suivant : face à un dilemme moral, comme abattre un avion de passagers détourné par des terroristes avant qu’il frappe une ville importante, les patients semblent prendre leur décision sans angoisse. De même, les psychopathes ne sentent souvent aucune empathie ou remord.

Joshua Greene, neurologue et philosophe à Harvard, propose, suite à ces multitudes expériences, une explication. La morale, comme on l’a vu, résulte des activités de base du cerveau. Les décisions morales difficiles actives différentes régions du cerveau qui sont en conflit ou en concurrence entre eux pour imposer sa suprématie. En 2004, il a demandé à des volontaires d’imaginer qu’ils se cachaient dans la cave d’un village pendant que les soldats ennemis venaient pour tuer tous les habitants. Si un bébé pleure dans la cave, est-il juste de l’étouffer pour sauver le groupe ? Face à un tel dilemme le cerveau active différentes parties qui rentre en communication Joshua Greene parle de « concurrence ». Selon l’auteur la régulation ne se fait pas tant par une analyse avantage-coût raisonné que par une réponse émotive. Cela explique par exemple, la situation des « justes » pendants les guerres : pourquoi des individus intégrés ont décidé de se mettre en danger en hébergeant, en sauvant des juifs pendant la seconde guerre mondiale. Leur réponse était que cela s’était imposé à eux qu’ils n’ont pas réfléchi un seul instant, c’était une évidence. L’analyse rationnelle entre le gain éventuel et le risque encouru ne justifiait en rien leur action. L’émotion de la détresse humaine en face de soi impose l’éthique comme une démarche première, avant tout raisonnement. Ce développement est riche d’enseignement, cela revient à dire que si j’adhère à une règle ce n’est pas tant qu’elle est raisonnablement juste comme l’aurait pressenti les modernes mais par exemple que je suis soulagé de penser qu’elle est juste. C’est l’émotion qui me fait choisir. Cela nous permet de repenser le rapport à la règle. Mais au-delà du rapport à la règle, cela nous permet de repenser la formation à l’éthique. La démonstration rationnelle de l’éthique ne favorise pas son apprentissage. Il ne servirait pas tant de raisonner le contrevenant que de lui faire peur pour être efficace. La peur du gendarme prend tout son sens. Cela bien évidemment interroge sur la responsabilité de chacun, si l’éthique est biologique, c’est une dotation initiale qui ne dépend pas de chacun, où est donc la responsabilité individuelle ?

Un dernier point, l’attitude empathique nécessite, comme on l’a vu, un cerveau capable de décontextualiser une information, de percevoir un indice qui oriente vers quelque chose qu’on ne perçoit pas. Il n’est pas rare de voir un chat se placer devant le réfrigérateur en regardant la poigné fixement. Si l’on regarde le chat hors de la présence humaine, avec l’usage de caméras, il n’a plus cette attitude. Le chat a acquis la connaissance que, derrière la porte, il y des choses qui l’intéressent et auxquels les humains savent accéder. Il utilise son passé pour se représenter l’avenir. Cette vision n’est pas loin des classiques du behaviorisme, qui d’ailleurs utilisaient aussi le monde animal. Mais si l’on va plus loin et que l’on suit Boris Cyrulnik, le processus empathique est déclenché par le phénomène des « neuro-miroirs ». Giacomo Rizzolatti et Luciano Fadiga, de l’Université de Parme, en 1998, en observant les singes furent surpris quand ils réalisèrent que le singe qui regarde un autre réaliser une action active exactement la même zone de neurones. La résonance commence dès le début de l’interaction comme si le fait de voir m’intéresse tellement que mon cerveau se prépare à effectuer la même action. Avant d’être comportementale, l’imitation est neurobiologique. Grâce aux neurones miroirs les singes permettent de partager un monde de singes. Ainsi les émotions deviennent contagieuses grâce aux neurones miroirs. Nos neurones miroirs entrent en résonnance avec le geste de l’autre qui nous touche. Cela donne une autre perspective aux travaux de Georges Thinès, qui montrent à partir d’études biologiques qu’un individu ne peut survivre qu’en échangeant des informations avec le monde qui l’entoure. C’est l’autre qui me permet de vivre, grâce à la formation que me procure sa présence.

Encore faut-il être capable de décoder les signes de l’autre. Les enfants mal traité ont par exemple beaucoup plus de difficultés à comprendre leur environnement. Ils sont tellement vigilants que le plus petit signe sera perçu comme une violence. Il faut être en paix soi-même pour mieux décoder les signaux de l’autre. L’acte de transmettre se présente sous un nouvel angle. Un bon formateur serait un individu empathique, capable grâce à ces neuro miroirs de partager le monde des stagiaires. Et inversement son travail serait de construire un univers formatif capable de créer un climat de confiance pour les stagiaires et des les aider à comprendre les signaux des autres. Le groupe en confiance permet d’apprendre ensemble en permettant à chacun d’exister par elle-même et surtout de trouver une résonnance sur et par le groupe. L’acte de formation peut être alors éthique.

Marc Hauser propose d’aller encore plus loin en pensant la morale comme une langue. Les gens tireraient des conclusions morales comme des phrases sans avoir été formé à la linguistique. Il prend un exemple d’un médecin qui enlève le tube d’alimentation d’un patient en phase terminal et d’un autre qui administre une drogue pour euthanasier le patient. Pour Marc Hauser, la seule différence et que dans le second cas une émotion plus forte est présente mais en fin de compte le docteur intervient dans les deux cas pour réduire la souffrance ou encore que dans les deux cas le patient est mort. L’éthique peut être partout même sans s’en rendre compte. Comme monsieur Jourdain, nous ferions de l’éthique sans le savoir, on est loin de l’approche moderne d’une éthique raisonnée et consciente. Comme les impressionnistes chaque couleur n’a de valeur qu’à côté des autres pour qu’ensemble le tableau révèle sa nature.

1 Comments:

Blogger céline said...

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2:27 PM  

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