La formation de demain, se construit aujourd'hui
Audition publique de Philippe Meirieu
Comité mondial pour l'éducation et la formation tout au long de la vie
Jeudi 22 septembre 2005, UNESCO
Le Comité mondial est une belle aventure.
Yves Attou, le Président n'est pourtant pas un aventurier mais quand on se positionne au niveau du monde, c'est déjà une aventure que d'être à la hauteur de son ambition...
Les auditions sont un espace de partages de réflexions qui relève le défi.
Philippe Meirieu est un homme passionnant. Ce n'est pas la première fois que je l'ai rencontré et chaque fois c'est une énergie. Aristophane disait que "former les hommes, ce n'est pas remplir un vase, c'est allumer un feu". Allumer un feu... Assuremment, Philippe Meirieu est un formateur.
En bon universitaire, il débute par une définition : l'éducation, c'est selon Anna Harendt quand on n'a pas le choix de son objet d'apprentissage. L'école est clairement de l'éducation. Quand l'homme choisi c'est de la formation. La formation tout au long de la vie est une possibilité d'apprendre, de sortir de son histoire, son groupe social,... on parle bien de formation parfois même d'autoformation. Comme toutes les définitions le problème réside dans la frontière, si je choisis une orientation professionnelle, un CAP BEP par exemple, il y a choix mais éducation ou formation ? ou encore, en entreprise y a-t-il réellement un choix quand on apprend, ce n'est pas toujours évident. Outre les limites, cette définition politiquement correcte n'est pas du goût de tous. Les anti libéraux, que cite Philippe Meirieu, comme Nico Hirrt ("les nouveaux maîtres de l'école ; l'enseignement européen sans la coupe des marchés", EPO, 2000) ou Jean-Pierre Le Goff ("la barbarie douce ; la modernisation aveugle dans les entreprises et de l'école", La découverte, 1999) ne partage pas cette vision angélique. Ils parleraient plus volontiers de "dressage" de l'individu pour augmenter son employabilité.
La formation tout au long de la vie pour le MEDEF est le développement de compétences, dans le sens capacité à répondre sous forme d'expertise à une situation précise, on parle de concept behavioriste. On "chosifie" la compétence pour en faire un objet marchand. L'individu est une somme d'expertise que l'entreprise achète sur le marché des expertises en fonction de l'offre et de la demande. Il existe une autre approche celle de l'apprentissage avec une approche phénoménologique. On part de l'intentionalité. La personne est au coeur de l'action formative. Philippe Meirieu parle de "décentration", de "renoncement au narcissisme fondateur" pour développer sa capacité à s'ouvrir à l'altérité. Elargir le cercle des ses préoccupations : de moi à l'univers. Cette conception universaliste issue du 19ième siècle. Apprendre, c'est accepter d'entendre l'autre. Il ne s'agit pas d'une universalité que l'on impose à l'autre, le "terrorisme de l'universalité" mais d'une universalité de l'ouverture. Nul ne prétend détenir l'universalité, on se construit dans le dialogue. On prend en compte les autres.
Le coeur de la présentation est l'introduction des deux modèles dominants :
1. La matrice scolaire
Née avec Jan Amos Coménius (1592 - 1670), développée par les encyclopédistes au 18ème siècle, elle s'institutionnalise au 19ème siècle : c'est le projet de l'école. Son efficacité n'est pas à démontrer pour l'école mais le problème, c'est qu'elle sclérose tout ce qu'elle touche. Elle est déconnectée des problèmes d'organisation. C'est la même chose que le héros de la Nausée de Jean-Paul Sartre, qui apprend le dictionnaire par ordre alphabétique. C'est mortifère, comme apprendre les mathématiques qui dévitalise la réalité.
2. La matrice de l'offre
L'école offre des biens et chacun prend ce qui correspond à ses aspirations (psychologiques). Par exemple l'université populaire qui est sur la base du volontariat. Pierre Bourdieu a montré que cela augmentait les inégalités. Seules les personnes qui ont des prédispositions culturelles s'inscrivent, autrement dit, ceux qui n'en ont pas besoin. Il n'y a pas démocratisation de la culture.
L'entreprise reprend cette notion bi céphale avec le plan de formation dans le modèle 1 et pour la logique de l'offre le DIF à l'initiative du salarié par exemple. Ni "enrégimenté", ni seul initiative Philippe Meirieu introduit un objet tiers : le projet. Vivre ensemble se fonde sur le faire ensemble, pas croire ensemble qui est du communautarisme ou obéïr ensemble qui est de l'autoritarisme. Le projet est une méthode active, on impulse une initiative collective qui fait émerger des besoins de formation. Dans l'action on rencontre des obstacles et la formation fournie les ressources pour les surmonter. Il s'agit d'une "révolution" : on développe des micro projets (projets à la dimension de l'homme). Avec une remarque, on est loin du "small is beautifull" des années 80 car ils supposaient une spontanéïté libertaire. Là, il faut l'impulsion de départ et c'est de la résponsabilité des pouvoirs publics. C'est le projet qui oriente la formation. Et développer une culture du projet, c'est favoriser les déviances et amplifier les micro projets. Cela nécessite une capilarisation du tissus social, avec une vigilance sur tout ce qui émerge. Or les pouvoirs publics ne savent pas voir. Il est nécessaire de mettre en place des structures d'écoute.
Philippe Meirieu s'engage dans une déclination politique de son modèle. Et l'entreprise, dans tout çà ? Et bien, elle connaît la même problématique que la société : détecter les projets de chacun pour développer un avantage concurrentiel. L'entreprise doit mettre en place une structure d'écoute. La réforme de la formation avec la création de l'entretien professionnel et son volet orientation peut être un espace de détection des ambitions et d'amplification des micro projets, à condition que les entreprises s'engagent dans une démarche volontariste. Qu'est-ce qui pourrait empêcher une entreprise de succiter les forces vives et de les impliquer dans une démarche collaborative ? La formation ne doit pas être mortifère, mais être au service du projet. C'est un changement culturel fort qui ne peut être acceptable que si le sommet stratégique le défini comme une priorité. C'est tout l'enjeu de l'apprenance.