Tuesday, January 24, 2006

Ethique formative I
Vagabondages

L'éthique peut-elle s'associer à la formation ? On en parle mais de quoi parle-t-on ? L'éthique, qu'est-ce que c'est ? Et la morale ? Pour André Comte Sponville l'éthique est une dimension individuelle alors que la morale est une dimension collective, pour Edgar Morin, c'est le contraire, alors qui suivre surtout lorsque l'on sait que l'éthique et la morale ont la même origine mais pas la même langue, grec pour l'éthique, latin pour la morale ? L'étymologie des mots est toutefois plus subtile éthos en grec signifie mode de vie, coutume, usage alors que mos en latin signifie aptitude à respecter les règles. La morale est un fait social qui consiste à énoncer des règles, des normes se référant à un système de valeurs. Cela permet de juger ce qui est bien ou mal. Chaque culture d'entreprise avec des valeurs implicites et/ou explicites construit sa morale qui permet d'évaluer l'ensemble des actions concrètes des collaborateurs. Alors que l'éthique est une démarche sur le pourquoi ces règles. Quel est leur sens ? C'est une réflexion sur les motifs comme l'intérêt, la performance, le plaisir,... Autrement dit l'éthique est le fondement de la moral. C'est tout naturellement avec la crise des valeurs que la morale n'est plus acceptée comme telle mais nécessite un détour pour justifier de son existence. L'entreprise qui est en quête de sens est une entreprise qui engage une démarche éthique alors qu'avec le taylorisme par exemple, les règles était posées et imposées, il ne restait plus qu'à les appliquer. L'entreprise était dans une problématique morale : comment faire appliquer l'organisation scientifique du travail (avec l'hypothèse implicite, ce qui est scientifique est bien) ? Le rôle de la formation est de transmettre des savoir-faires identifiés. Dans ce cas la problématique est morale. On raisonne sur le comment avec l'ingéniérie pédagogique et non pas sur le pourquoi. Or l'éthique de la formation raisonne sur le pourquoi et quel sens donner à la formation. On parle même de donner une dimension stratégique à la formation. Il s'agit bien de reconnaître que cette interrogation éthique procure un avantage concurrentiel.

L'éthique formative : on parle par exemple de la formation tout au long de la vie et tout le monde donne le sentiment que c'est normal. Mais un homme apprend déjà tout au long de sa vie, chaque instant est un lieu d'apprentissage, un coucher de soleil nous apprend beaucoup. Même les plus optus apprennent, les jeunes agissent différemment des personnes âgées, le temps nous apprend. Alors... si on décide d'en faire une loi (loi fillon) c'est bien que l'on décide un type de formation et il est intéressant de s'interroger sur les raisons qui conduisent à un tel choix. On évite ainsi d'accepter des évidences qui sont loin d'être évidentes quand on s'y penche. S'il s'agit de formation continue, finie la formation avec la retraite, ce qui n'est pas absurde puisque si l'on reprend la théorie du capital humain de Gary Becker, une formation est un investissement qui appelle un retour sur investissement (c'est pourquoi Gary Becker ne parlait que de formation initiale), pourquoi investir après la retraite ? La question n'est pas neutre. Mais cela conduit aussi à penser la formation initiale dans le processus. Et aujourd'hui, cela semble précurseur. Alors formation tout au long de la vie professionnelle ? Pas si simple, mais la question vaut d'être posée et c'est le lieu de l'éthique formative.

Sans déflorer tout le sujet, commençons notre débroussaillage avec quelques références. Le père de l'éthique moderne, Emmanuel Kant, donne un exemple tout à fait significatif sur la définition de l'éthique et comme elle s'applique au monde de l'entreprise, on peut parler d'éthique entreprenariale. "Il est sans doute conforme au devoir qu'un marchand ne surévalue pas sa marchandise auprès d'acheteurs inexpérimentés ; et, dans le commerce courant, le marchand prudent ne le fait jamais, mais il a un prix fixe pour tout le monde, en sorte qu'un enfant peut acheter chez lui tout aussi bien qu'un autre. On est donc loyalement servi, mais cela ne suffit pas, et de loin, pour croire que le marchand agit ainsi par devoir et d'après des principes de probité ; son intérêt l'exigeait ; car il ne peut être ici question d'inclination immédiate, et l'on ne peut supposer en lui une sorte d'amour pour tous ses clients qui l'empêcherait de traiter l'un plus favorablement que l'autre. Voilà donc une action qui n'a été faite ni par devoir, ni par inclinaison immédiate, mais seulement par l'intérêt personnel" (Emmanuel Kant, fondement de la métaphysique des moeurs, p. 20 & 21). Le marchand agit conformement au devoir mais pas par devoir, par intérêt, il ne sagit donc pas d'éthique. Cette notion est conforme au sentiment commun. Une action faite par intérêt perd toute valeur éthique. Une action éthique doit être désinteressée. C'est lourd de conséquence... Par exemple, une formation peut-elle être désintéressée ? Si la réponse est non alors conformément à Emmanuel Kant on se doit de dire qu'une formation ne peut être éthique. Et si on généralise, une entreprise éthique n'a pas de sens dans la mesure où elle cherche à obtenir quelque chose. Cela met à mal tous créateurs d'éthique ou tout ce qui annonce qu'ils ont un management éthique dans le but d'avoir une reconnaissance ou une valorisation de leur action... Effectivement dans ce sens, il ne reste que peut de monde...

Pour poursuivre ce picorage préliminaire et toujours avec les modernes, il serait de bon ton de citer Max Weber pour ne pas penser que rien n'est éthique en se bas monde de l'entreprise. Dans "le savant et le politique" Max Weber introduit une distinction entre l'éthique de conviction et l'éthique de responsabilité. Les deux ne sont donc pas en opposition mais recouvrent deux réalités différentes. L'éthique de conviction, c'est le lieu de la croyance, j'obéis plutôt que je ne réfléchis. C'est la sphère des croyances, dont l'exemple de la religion est parfaite. On ne s'interroge pas sur l'existence de Dieu mais on y croit ou non. Toutes les croyances sont bonnes, la hiérarchisation n'a pas de sens absolu sauf pour celui qui croit. L'individu se soumet aux normes sans les remettre en cause, il n'est donc pas responsable. Alors que dans l'éthique de la responsabilité, on est dans le monde des faits et non pas des idées, l'individu est responsable, il doit mobiliser l'ensemble des moyens pour atteindre les objectifs légitimes. C'est le lieu de la politique et de l'action. C'est là que se situe le monde de l'entreprise. Et la formation ? Max Weber pose le problème en ces termes : "Je voudrais seulement vous poser cette simple question : comment, dans une leçon qui a pour objet l'étude des diverses formes des Etats et des Eglises ou l'histoire des religions, est-il possible d'amener d'un côté un catholique croyant et de l'autre un franc-maçon à soumettre ces phénomènes aux mêmes critères d'évaluation ? Cela est tout bonnement exclu. Et pourtant le professeur doit avoir l'ambition et même se faire un devoir d'être utile à l'un et à l'autre par ses connaissances et sa méthode... Cette science "sans présuppositions" exige de sa part rien de moins - mais également rien de plus - que le souci de reconnaître simplement que, si le cours des choses doit être expliqué sans l'intervention d'aucun de ces éléments surnaturels auxquels l'explication empirique refuse tout caractère causal, il ne peut être expliqué autrement que par la méthode que la science s'efforce d'appliquer. Et la croyant peut admettre cela sans aucune infidélité à sa foi." La formation éthique est neutre. Le formateur est neutre. Et la responsabilité est de tout mettre en oeuvre pour construire cette neutralité hors du domaine de la conviction. Max Weber est conscient que cela se traduira par un "désenchantement" mais que cela est le prix à payer pour une entreprise rationnelle. Génération désenchantée... On est bien dans le courant de la modernité. Cette démarche est en harmonie avec l'Organisation Scientifique du Travail. Par extrapolation, on peut dire que sans s'interroger sur le bien fondé de l'objectif de la formation, l'éthique de la responsabilité est de développer une obligation de moyen, mobiliser tous ses efforts pour atteindre l'objectif qui lui a été donné. Cette notion d'éthique, fait rêver bon nombre de dirigeants... encore faut-il réfléchir autour de la motivation, on parle tout particulièrement d'appétence pour la formation. Ne serait-ce pas le prix à payer du désenchantement ? Cela est une autre histoire qui fera l'objet d'une autre chronique...

L'éthique est une belle aventure, une odysée dans le monde de l'entreprise pour au final rentrer en Ithaque enrichi de son parcours, autrement dit de changer son regard sur le monde de la formation...